Shashish|Anutshish : un musée virtuel pour explorer la culture autochtone d’hier et d’aujourd’hui.

Accueil

Patrimoine
Communautaire
Collection
Uashat mak Mani-Utenam

Vidéos / témoignages

Flash doit être installé pour jouer ces vidéos

Catalogue L'Aventure Uashat mak Mani-Utenam

En complément d'information, nous vous proposons un texte de France Tardif, originalement publié dans le catalogue L'Aventure Uashat mak Mani-Utenam.

Trouvez plus d'information sur cet ouvrage dans la section diffusion du site Internet suivant : Source

RÉFLEXION SUR LA MUSÉOLOGIE

à partir du travail du groupe «Mémoires du territoire - Innu utinniun»

France Tardif

Catalogue L'Aventure Uashat mak Mani-Utenam, 2007, p.96-103.

Ma recherche au sein du projet Design et culture matérielle : développement communautaire et cultures autochtones explore les notions de patrimoine, de transmission et de musée afin de comprendre leur sens et leur rôle dans les cultures autochtones contemporaines, particulièrement, dans ce cas-ci, pour les Innus de Uashat mak Mani-Utenam (région de la Côte-Nord du Québec, près de Sept-Îles).

En raison de la colonisation et de l'assimilation qu'ils ont subies, les autochtones ont eu et ont encore souvent une perception négative des musées, concept issu des colonisateurs qui y représentent à leur façon les cultures autochtones.

Ce contexte a soulevé beaucoup de questions en moi et j'en ai choisi deux pour ma recherche : 1) Y a-t-il moyen de construire des ponts entre la vision de la muséologie occidentale, les cultures autochtones et la notion de musée communautaire dans le but de construire une représentation de la culture innue par les Innus?; 2) Le Musée Shaputuan peut-il encore travailler de façon structurante avec la communauté de Uashat mak Mani-Utenam?

Cette réflexion associe les résultats de mes recherches et ceux de la démarche du groupe Mémoires du territoire/Innu utinniun de la communauté innue de Uashat Mak Mani-Utenam. J'ai été intégrée au groupe au début du mois de mai 2005 à titre d'observatrice participante2. Pour enrichir ma réflexion, j'ai réalisé trois entrevues avec des autochtones qui travaillent dans des institutions muséales : Sylvie Paré, agente culturelle au Jardin des Premières-Nations du Jardin botanique de Montréal, Dolorès Contré Migwans, adjointe aux programmes autochtones au Musée McCord d'histoire canadienne à Montréal, et Lauréat Moreau, coordonnateur au Musée Shaputuan à Uashat3. J'ai contacté ces trois personnes avant les entrevues afin de leur exposer mes objectifs et je leur ai envoyé à l'avance les grandes lignes des sujets dont je voulais discuter : le patrimoine, la transmission et le musée. Ces trois rencontres m'ont aidée à construire des ponts entre la vision de la muséologie occidentale, la culture autochtone et la notion de musée communautaire.

LE PATRIMOINE

Il est frappant de constater que les onze éléments significatifs identifiés par les membres du groupe Mémoires du territoire/Innu utinniun représentent soit du patrimoine immatériel (la culture innue, le territoire, la communication et les outils pédagogiques, les valeurs, la famille, la spiritualité, les gestes, la langue innue, les animaux du territoire, l'art et l'artisanat), soit du patrimoine vivant (les aînés). D'aucuns pourraient argumenter que le territoire et les animaux du territoire constituent du patrimoine matériel. Cependant, le territoire auquel les Innus du groupe se réfèrent correspond, selon moi, au territoire ancestral qui n'existe plus tel qu'il était; le territoire nommé ici me semble plutôt évoquer l'origine de la culture innue. Il en est de même pour les animaux du territoire, qui sont importants parce qu'ils « … transmettent quelque chose » (groupe «Mémoires du territoire/Innu utinniun », 2005). En ce sens, je les considère comme du patrimoine immatériel. Même si l'exercice n'est pas définitif, tout comme le patrimoine n'est jamais définitif, ce groupe a reconnu et nommé son patrimoine, il se l'est approprié collectivement.

Les résultats de la réflexion du groupe confirment la recherche de Clavir (2002) : c'est le patrimoine immatériel qui importe davantage pour les autochtones, même pour les objets; la clé du sens de l'objet ne se trouve pas dans l'intention de l'artiste, mais dans l'intention culturelle : c'est l'usage premier de l'objet qui constitue la clé de son sens.

Lauréat Moreau l'a exprimé clairement : pour lui, la base du patrimoine, c'est la spiritualité, les légendes, les histoires vécues; c'est aussi Innu Aitun, les gestes. Sylvie Paré appuie cette idée : « J'ai éprouvé plusieurs difficultés dans le cadre universitaire à cause de l'approche unique du mode intellectuel de la connaissance de l'objet. J'ai toujours cru en la puissance de vie que l'on peut faire jaillir d'un objet et en ce côté impalpable, bien que présent, qui le traverse et l'entoure. » (2003, p. 72) Ces propos rejoignent ceux de Dolorès Contré Migwans quand elle explique la vision du monde propre aux autochtones, vision basée sur une pensée globale et des points de vue multiples d'une réalité. Pour capter l'essentiel, qui est de l'ordre du senti, il faut plusieurs lectures d'un objet. Par exemple, regarder la facture visuelle d'un objet nous fait entrer en relation avec le message immatériel, car les langages artistique, esthétique et symbolique sont rattachés à la culture de l'artiste ou de l'artisan. La façon dont un objet est fabriqué constitue une autre clé : savoir, par exemple, que toute la famille – père, mère, enfants – a participé à la fabrication d'un objet nous met en contact avec la réalité économique, mais aussi avec le fait que la famille constitue une valeur importante. Il y a également le lien aux récits fondateurs qui reste fondamental pour les autochtones. Ces récits, de tradition orale, donnent tout leur sens à la symbolique iconographique. Cette explication aide à comprendre la profondeur et la qualité spirituelle de la vision du monde chez les autochtones ainsi que l'importance du patrimoine immatériel.

LA TRANSMISSION

En muséologie, on utilise principalement trois modes éducatifs qu'on peut situer sur un continuum : la sensibilisation, l'interprétation et la transmission. Selon Dolorès Contré Migwans, tout dépend du but visé. Pour sensibiliser, on peut raconter une légende en quinze ou vingt minutes au musée, mais pour en tirer une leçon de vie, il faudra de deux à trois heures. Cependant, pour une réelle transmission de la culture, le contexte idéal est la forêt en territoire. Traditionnellement, le tout se passait durant les soirées d'hiver. Chaque aîné qui racontait une légende la réactualisait selon sa propre expérience de vie. Il ramenait ce récit du passé de plus en plus près dans la lignée familiale : de l'ancêtre lointain à l'arrière-grand-père, au père et à lui-même. Racontée dans ce contexte de vie, la légende apportait une autre forme d'éducation, non seulement cognitive, mais aussi perceptivo-sensorielle qui avait un impact différent « en dedans de soi ». Lauréat Moreau va dans le même sens : la façon d'apprendre est très importante pour intégrer le contenu et l'essence de la culture innue. Le lien semble se trouver entre l'enfant, l'aîné et la nature; les trois sont indispensables.

L'aîné qui transmet ainsi la légende rejoint le porteur de traditions québécois, tel que conçu dans le domaine du patrimoine vivant et du patrimoine immatériel. Tous les deux se situent dans une culture traditionnelle qui, dans son fondement même, est une culture de participation et non une culture de consommation (De Grosbois, 2004). Les porteurs actifs de tradition sont plus que des témoins, ils sont des praticiens (Berger, rapporté dans Lamontagne, 1994), « … des porteurs authentiques, parce qu'imprégnés du sens et non d'une interprétation du sens » (Lamontagne, 1994, p. 10). Ils sont porteurs d'une culture identitaire. Les effets structurants de la transmission de savoirs, de savoir-dire et de savoir-faire sur les individus et les collectivités se trouvent dans la qualité des échanges humains et le contexte de l'acte de transmission (De Grosbois, 2004).

La différence entre la transmission et l'interprétation est plus claire : l'interprétation se situe dans un cadre éducatif où le guide-interprète joue souvent un rôle pour aider le visiteur à mieux comprendre une situation en lien avec certains éléments du contexte, tandis que la transmission se situe dans un cadre identitaire où l'aîné permet aux membres de sa communauté d'intégrer plus en profondeur sa propre culture et ses valeurs, de relier le matériel et l'immatériel. L'interprétation a sa place véritable en milieu muséal et relève davantage d'une culture de consommation. La transmission vise des objectifs au cœur de la construction identitaire et appartient à une culture de participation; à ce titre, elle constitue un moyen plus adéquat pour une institution située dans une communauté ayant subi une rupture culturelle et qui cherche à créer un effet structurant aux niveaux individuel et collectif.

Sylvie Paré exprime bien cette rupture culturelle lorsqu'elle dit ressentir que « … le manque ou la perte de quelque chose qu'elle n'a jamais eu […] [pour elle], c'est justement la transmission de cette perte qui continue de se faire sentir chez bien des Autochtones » (2003, p. 77) et qui prend la forme de problèmes sociaux. Elle estime que « … la remise en contact avec le patrimoine matériel et immatériel est essentielle pour combler ce sentiment persistant de n'être “nulle part”. » (2003, p. 77)

Comme le dit Lauréat Moreau, il est certain que le contexte du territoire est idéal pour la transmission de la culture. Faute de pouvoir agir dans ce contexte idéal, Dolorès Contré Migwans croit qu'il est possible de réactualiser, de « … recontextualiser ça dans un milieu muséal dans les communautés autochtones […] parce qu'il y a toujours la présence de l'aîné et sa parenté ».

LE MUSÉE

Qu'est-ce qu'un musée? La définition utilisée par la plupart des musées à travers le monde, notamment ceux du Canada et du Québec, est celle du Conseil international des musées (ICOM) :

« Le musée est une institution permanente, sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l'homme et de son environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les communique et notamment les expose à des fins d'études, d'éducation et de délectation. […] » (2001, article 2.1)

Cette définition convient-elle pour une communauté qui a vécu une rupture culturelle? Ce musée peut-il permettre de remplacer le fil de transmission de la perte par celui de la transmission de la culture?

Prenons l'exemple du Musée Shaputuan. Plusieurs facteurs liés à son existence doivent être pris en considération dans notre analyse. D'abord, la notion de musée n'existe pas dans la langue innue; ce concept appartient à la culture du colonisateur. Le Musée Shaputuan a été parachuté en 1998 à l'occasion d'une négociation avec les gouvernements et Hydro-Québec concernant un barrage sur la rivière Sainte-Marguerite (Vollant et Dubuc, 2004). C'est un musée de type occidental, mais il s'appelle aussi « maison de transmission de la culture » et cette double appellation se reflète dans sa double mission : faire connaître et perpétuer la culture des Innus. Cette double identité, associée à des difficultés d'ordre politique et budgétaire, a rendu difficile la vie de l'institution. Toutefois, selon moi, le facteur le plus fondamental concernant les difficultés du musée est la rupture culturelle majeure subie par les Innus, les obligeant à passer d'une culture de participation, intrinsèque à leur tradition nomade, à une culture de consommation. Une telle rupture demande des actions structurantes pour pouvoir reprendre le fil de transmission culturelle, c'est-à-dire des actions qui contribuent à la reconstruction du tissu social et de l'identité communautaire. Pour travailler en ce sens, le musée pourrait davantage se situer dans l'approche des musées communautaires qui placent les gens, et non les objets, au cœur de leurs objectifs et de leurs actions. Hugues de Varine, dont le groupe Mémoires du territoire/Innu utinniun s'est inspiré pour établir sa méthode de réflexion, a proposé récemment cette définition du nouveau musée, le musée communautaire :

« … le musée communautaire dans sa forme la plus novatrice, ne suit pas une procédure mais […] un processus. Son objectif n'est pas l'institution, ni une inauguration; il est la co-construction, dans la communauté et sur son territoire, par les membres de la communauté et les personnes plus ou moins qualifiées qui les aident, d'un instrument de développement à partir d'un patrimoine global identifié par ses détenteurs eux-mêmes. » (de Varine, 2005, site Internet).

L'expérimentation de l'inventaire participatif par le groupe Mémoires du territoire/Innu utinniun peut ainsi constituer un début pour le passage du Musée Shaputuan vers un musée plus proche de sa communauté, si tel est le désir de celle-ci. Les onze catégories significatives identifiées par le groupe, parce qu'elles relient particulièrement le matériel, l'immatériel et le patrimoine vivant, rejoignent la vision du « musée de l'immatériel » de Sylvie Paré (2003). Celui-ci offrirait:

« … Un espace de ré-actualisation des savoirs et des savoir-faire en relation aux témoins matériels, pour que s'exercent des expérimentations de transmission par la création de nouveaux discours conceptuels, corporels ou verbaux. Le musée de l'immatériel est davantage une "voix", en continuité avec la tradition orale qui doit s'exprimer […] Qu'il soit personnel ou collectif, [il] va bien au-delà d'un simple geste de collectionnement, il est avant tout une sorte de territoire où les frontières entre la dimension visible et invisible des choses n'existent pas. Il est éphémère en apparence, mais il assure une continuité. » (2003, p. 76-77).

CONCLUSION

Le musée est un moyen qui peut revêtir un sens particulier pour une communauté donnée et devenir un outil de continuité et de revalorisation identitaire s'il est soutenu, alimenté et transformé par sa communauté. Les résultats actuels du processus en cours dans le groupe Mémoires du territoire/Innu utinniun démontrent que la méthode de l'inventaire participatif, adaptée au milieu, peut constituer un instrument de renforcement communautaire et devenir la base d'un renouveau muséal si elle est adoptée par la communauté.

Le patrimoine innu est là, avec ce caractère particulier du lien entre le matériel et l'immatériel. La communauté pourrait identifier son patrimoine, se l'approprier, travailler à sa propre représentation et, par le fait même, renouer avec une culture de participation. En adoptant une approche de muséologie communautaire, le Musée Shaputuan pourrait, selon moi, contribuer à la reprise du fil de transmission culturelle, favorisant ainsi le sentiment d'appartenance et le renforcement des liens sociaux en vue de la revalorisation identitaire, tant individuelle que collective. Grâce à la présence de la communauté et des familles, à la voix du patrimoine vivant que sont les aînés, le musée peut orienter ses activités sur une culture de participation et une transmission structurante.

Textes / information

Recherche